Le thé est considéré comme le breuvage le plus universellement, et anciennement, consommé. On dit qu’il s’en boit aujourd’hui plus d’un milliard de tasses par jour ! Comme un reflet de la variété des cultures qui s’en sont emparées, il s’accommode de mille et une manières : infusé, moulu ou oxydé ; sucré, neutre ou salé ; additionné d’épices ou de lait… D’hier à aujourd’hui, empruntons les routes mondiales du thé et laissons notre imaginaire se perdre dans ses vapeurs parfumées.
Aux origines du thé
Le thé est-il né lorsque quelques feuilles sont tombées sur un empereur chinois endormi au pied d’un arbre ? Ou bien lorsque les paupières coupées d’un moine indien se sont changées en odorantes pousses ? Il existe différents mythes fondateurs autour du breuvage, faisant remonter ses origines plusieurs millénaires en arrière.
Son histoire attestée débute dans l’empire du Milieu, sous la dynastie des Zhou (1045-221 av. J.C.). Il s’est imposé d’abord pour ses vertus thérapeutiques, puis pour ses saveurs et ses propriétés stimulantes, jusqu’à devenir une boisson du quotidien. Compagnon de la vie intellectuelle et artistique dans la Chine d’avant notre ère, il a également noué un lien fort au bouddhisme, qui l’a amené au Japon à partir du XIIe siècle.
Peu à peu, la cérémonie du thé est devenue un rituel essentiel et minutieusement codifié. Des figures comme le maître chinois Lu Yu, auteur du Classique du thé publié en 780, ou le moine-poète japonais Ikkyū Sōjun (1391-1481), ont contribué à lui donner ses lettres de noblesse.
Sur les routes du thé
L’histoire du breuvage est aussi, bien sûr, celle des routes commerciales mondiales. Au fil des millénaires, les feuilles du théier les ont empruntées aux côtés d’autres produits raffinés comme les épices ou la soie. Le thé s’est très tôt révélé être un commerce lucratif pour la Chine. Cela a donné naissance à des routes terrestres vers l’Inde d’abord, et la Russie ensuite, jusqu’à voir le samovar devenir un emblème du monde russe. Dès le XVIIe siècle, le thé voyage également par la mer, dans les cales des navires des compagnies néerlandaise puis britannique des Indes orientales. Il conquiert d’abord l’Europe pour ses vertus curatives, avant de s’imposer dans les salons mondains et demeures nobles du continent au XVIIIe siècle.
En 1848, le botaniste-espion anglais Robert Fortune parvient à percer le secret de la culture du thé. Dès lors, sous l’impulsion de la Compagnie britannique des Indes orientales et moyennant l’exploitation des populations locales, la culture du thé s’implante largement en Inde. Le breuvage est définitivement entré dans l’histoire occidentale, comme en témoigne l’incident de la Boston Tea Party, qui contribue au déclenchement de la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Eminemment politique, le thé s’installe aussi définitivement dans la sphère domestique.
L’art du thé
Dès la cueillette, l’art du thé convoque la délicatesse et la minutie. Cette tâche, souvent confiée à des femmes, doit être effectuée avec un soin particulier afin que seules les feuilles les plus tendres soient prélevées. Notons qu’il n’existe qu’un seul arbre à thé, le camellia sinensis. La “couleur” du thé (noir, vert mais aussi blanc, jaune, bleu ou rouge) provient non pas d’une espèce particulière, mais plutôt des traitements appliqués aux feuilles. Ainsi, on torréfie le thé vert, on oxyde le thé noir, tandis que le thé blanc est obtenu par simple dessiccation. Le matcha japonais, quant à lui, est produit en moulant les feuilles, auparavant protégées des lumières vives pendant leur croissance.
La préparation du thé requiert également un savoir-faire précis, qui a évolué au cours du temps. Les premiers thés étaient broyés puis bouillis avec un mélange d’épices et servis à la manière d’une soupe, usage qui perdure aujourd’hui en Mongolie et au Tibet. Plus tard, le thé battu a conquis la Chine, faisant apparaître une galerie d’ustensiles allant du fouet au manche de bambou aux bols les plus fins. A partir de la dynastie Song (960-1279) le thé infusé, semblable à celui que nous consommons aujourd’hui, s’est imposé. La simplification du procédé n’a nullement ôté au raffinement du rituel ; en témoignent les splendides céramiques exposées dans les musées du thé de Shizuoka (Japon), Zhangzhou (Chine) ou Séoul (Corée) ou, plus près de nous, au musée Guimet de Paris.
Comme le souligne l’autrice Lucie Azema dans son livre L’Usage du thé, la Chine et le Japon “ont en commun d’avoir développé une esthétique littéraire, artistique et religieuse du thé”. Une esthétique qui se retrouve tant dans les objets associés au rituel, que dans les pratiques et dans les lieux, avec des espaces spécifiquement dédiés à la cérémonie du thé.
Voyager par le thé
Pénétrer dans une chambre de thé japonaise, c’est s’éloigner pour quelques instants du bruit du monde. Nichée dans une maison ou cabane indépendante, séparée du bâtiment principal par une allée, cet espace invite à une expérience hors du temps. On est loin des stands des chaiwala indiens, qui proposent des tasses fumantes à chaque coin des artères bouillonnantes des grandes villes !
En voyage, la boisson se consomme souvent sur la route, que ce soit dans les trains à couchettes ouzbèkes, lors d’un bivouac dans le Sahara ou sur les bateaux à vapeur qui traversent le Bosphore. Mais le thé possède aussi un pouvoir d’évocation particulièrement propice aux voyages immobiles. Parfumé aux agrumes, il nous transporte vers la Russie ; additionné de lait, il nous embarque pour un five o’clock tea anglais, tandis qu’une noix de beurre ou une pincée de sels nous projettent vers le Tibet ou la Mongolie.
Terminons donc cette évocation avec ces mots de Lucie Azema : “C’est grâce à cette dualité, entre nomadisme et sédentarité, que le thé nous incite à embrasser nos propres errances et nos ancrages, à approcher une philosophie du voyage par étapes, à naviguer en suivant les aléas des chemins et des rencontres, à emprunter des routes aussi bien physiques qu’imaginaires.”
Pour aller plus loin :
L’Usage du thé, Lucie Azema, ed. Flammarion.
Catalogue de l’exposition Le thé – Histoires d’une boisson millénaire au musée Guimet, ed. MNAAG / Réunion des musées nationaux – Grand Palais.
Podcast “Du thé, pour oublier le bruit du monde” dans Et Maintenant pour France Culture.
Podcast Un thé, un voyage de François-Xavier Delmas et Sidonie Bonnec pour Palais des thés.
Le Livre du thé, Kakuzô Okakura, ed. Piquier.
Emission “Chine, sur la route du thé” dans Faut pas rêver pour France 3.