Le voyage en bande dessinée

La bande dessinée a soif de voyage, et cela ne date pas d’hier ! De Tintin à Blake et Mortimer, les plus célèbres aventuriers du 9e art ont arpenté le monde au gré d’exaltantes péripéties. Ils ont emmené des générations de lecteurs à la découverte de terres lointaines, nourrissant leurs rêves d’évasion. Le thème de l’exploration du monde nourrit tout autant la BD contemporaine, mais la représentation de l’ailleurs s’y fait différente. A la fois plus réaliste et plus subjectif, le récit de voyage d’aujourd’hui dessine plus souvent la rencontre avec l’altérité ainsi que la quête de soi.

Tintin, en quête d’aventures

Coke en stock, Hergé

En 1929, un jeune héros nommé Tintin débute une série de tribulations qui l’emmènera sur les cinq continents. Des cimes enneigées de l’Himalaya à celles des gratte-ciels de Chicago, l’infatigable reporter grave dans nos imaginaires une foule de paysages exotiques.

Son père, Hergé, a pourtant rarement quitté l’Europe. Pour dépeindre Shangaï, le Pérou ou l’Océanie, il se documente et s’inspire d’images, de coupures de presse et de récits de voyageurs précurseurs. Ça et là, l’actualité géopolitique teinte les intrigues, laissant affleurer une sensibilité pour la situation des peuples opprimés, comme dans Le Lotus bleu. L’objectif n’est pas pour autant documentaire, comme en témoigne – douloureusement – le caricatural Tintin au Congo.

Le travail de cartographie d’Hergé revêt plutôt une dimension de mythologie moderne. L’auteur n’hésite pas à créer de toutes pièces certains royaumes, comme la Syldavie. D’autres, bien réels, se drapent dans le fantasme, à l’instar du Moyen-Orient, qu’il représente figé dans le temps et le sable. Après tout, l’essentiel, pour ces décors entre imaginaire et réalité, est de permettre l’immersion. De fait, Hergé suscite un plaisir de la découverte sans cesse renouvelé.

Blake et Mortimer, gentlemen voyageurs

C’est avec le même enthousiasme que l’on suit les pérégrinations de Blake et Mortimer, nées de l’imaginaire d’Edgar P. Jacobs et poursuivies après sa mort. Celui qui fut un temps le bras droit d’Hergé a fait traverser le monde à ses deux gentlemen épris de justice et de liberté.

Etats-Unis, Kenya, Japon, Egypte, Inde, Tanzanie… Nourries par l’immense souci du détail de leur père, les aventures de Blake et Mortimer prennent place dans des univers hautement documentés. Aux côtés des héros aventureux, le lecteur est invité à pénétrer tantôt au cœur des pyramides de Gizeh, tantôt dans une maison traditionnelle nipponne ou une base scientifique de l’Antarctique.

En créant une géographie intemporelle, Jacobs a imaginé un théâtre où l’uchronie et la science-fiction, voire l’ésotérisme, trouvent habilement leur place. C’est d’ailleurs avec le même naturel que ses deux héros découvrent une Atlantide futuriste. Avant de savourer, comme tout bon voyageur, le retour bien mérité dans leur home, sweet home anglais !

Voyages spirituels

L’auteur-voyageur d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec ces mythiques figures de papier. Dans une hybridation naturelle avec le carnet de voyage, la BD contemporaine revêt souvent une dimension autobiographique et introspective. Ainsi en est-il dans La Lune est blanche, récit de l’expédition d’Emmanuel et François Lepage en Terre-Adélie. Autant que l’aventure, la relation fraternelle est au cœur du livre.

Dans Visa Transit de Nicolas de Crécy, les souvenirs de voyage évoquent l’élan de vie d’une jeunesse rebelle. Une Citroën Visa, et voilà les deux protagonistes partis à l’aventure sur les routes reliant Paris à la Turquie. Dans Le Voyage d’Edmond Baudouin, c’est plutôt pour fuir un quotidien sombre que le héros entame un road trip qui l’amènera à se réconcilier avec lui-même. Pour Baudouin, ce livre initialement publié au Japon est le premier d’une prolifique série de romans graphiques inspirés par ses propres voyages. Au fil des albums, il ne cesse de nous le rappeler : l’exploration du monde est l’occasion d’une rencontre avec soi.

L’arabe du futur, Riad Sattouf

La déstabilisante rencontre avec l’altérité se met elle aussi en scène et en bulles. Guy Delisle joue la carte d’un réalisme teinté d’humour pour dépeindre ses expériences d’expatriation à Shenzhen, Pyongyang, Rangoon (Chroniques birmanes) et Jérusalem (Chroniques de Jérusalem). Hors sol, l’auteur vit une autre forme d’expérience initiatique, qui n’est pas sans rappeler celle du jeune Riad Sattouf dans L’Arabe du futur. Dans La Jeune femme et la mer, Catherine Meurisse, en résidence au Japon, s’efforce de capter l’essence de la nature, mais aussi d’une culture insaisissable.

Le voyage inspire autant qu’il déboussole ; et si sa propension à faire surgir l’inattendu avait le pouvoir de susciter des expériences de beauté incomparables ?

 

Pour aller plus loin :

  • Parcours BD à Bruxelles : une soixantaine de fresques disséminées dans la ville
  • Hors-série GEO “Tintin, les arts et civilisations vus par le héros d’Hergé”
  • Hors-série GEO “Les voyages de Blake et Mortimer : deux aventuriers à travers le monde”
  • La Lune est blanche, Emmanuel et François Lepage, Futuropolis
  • Visa Transit, Nicolas de Crécy, Gallimard Jeunesse
  • Le Voyage, Edmond Baudouin, L’Association
  • Shenzhen, Pyongyang, Chroniques birmanes, Chroniques de Jérusalem, Guy Delisle, L’Association et Delcourt
  • L’Arabe du futur, Riad Sattouf, Allary
  • La Jeune femme et la mer, Catherine Meurisse, Dargaud
  • Les Aventures de Tintin : six histoires à écouter sur France Culture