150 ans de l’impressionnisme : petite histoire mondiale du mouvement

Avril 1874. En parallèle du Salon, et comme un pied de nez à son académisme, s’ouvre la toute première exposition impressionniste. Trente artistes, dont Cézanne, Degas, Morisot, Pissarro, Renoir, Sisley ou Monet, dévoilent des œuvres novatrices, fruits de plusieurs années de  recherches autour de la lumière, de la couleur, du plein-air et des scènes du quotidien. Parmi elles, Impression, soleil levant de Monet, qui donnera son nom au mouvement, au départ sous la plume satirique du critique Louis Leroy. Loin d’être uniquement parisienne, l’histoire de l’impressionnisme a traversé les frontières. Voyageons dans quelques pays sur ses traces. 

En Italie, les macchiaioli, impressionnistes précurseurs ? 

Giovanni Fattori, La Rotonde des bains Palmieri (Livourne), 1866

Giovanni Fattori, La Rotonde des bains Palmieri (Livourne), 1866

Souvent rapprochés des impressionnistes français, les macchiaioli les ont pourtant précédés de deux décennies. Il est vrai que les deux mouvements partagent plusieurs caractéristiques : le rejet de l’ordre établi, le goût du plein-air, un parfum de scandale, mais aussi et surtout leurs recherches artistiques, les rapprochent. Les macchiaioli, eux aussi, s’efforcent de traduire des sensations, des “impressions”, sur la toile, au moyen de taches de couleurs (“macchie” en italien) qui leur vaudront un surnom au départ péjoratif. Au fil des décennies, les échanges avec leurs pairs parisiens sont aussi nombreux que féconds. Diego Martelli, théoricien et mécène du mouvement, contribue d’ailleurs grandement à faire connaître les impressionnistes français en Italie. 

En Grande-Bretagne, la première reconnaissance 

Camille Pissarro, Charing Cross Bridge, Londres, 1890

Camille Pissarro, Charing Cross Bridge (Londres), 1890

Et si la première exposition impressionniste n’était pas celle que l’on croit ? En 1870, alors que la guerre fait rage, plusieurs artistes français s’exilent à Londres. Parmi eux figurent des membres du groupe des Batignolles, ancêtre du mouvement impressionniste, comme Monet ou Pissarro. L’Angleterre – ses artistes, mais aussi ses atmosphères, jusqu’au fameux fog (brouillard) – nourrissent leur imaginaire. Elle offre également une mise en lumière précoce à leurs tableaux, exposés à de multiples reprises dès 1870 sous l’impulsion du marchand d’art Paul Durand-Ruel. Bien que la reconnaissance qu’il suscite soit au départ marginale, comme en France, leur travail inspire peu à peu une génération d’artistes d’avant-garde rejetant l’establishment de la Royal Academy. Certains fonderont en 1885 le New English Art Club, à la fois intimement lié à l’impressionnisme parisien, et revendiquant son indépendance et sa singularité. 

De la Belgique au Japon, l’onde de choc impressionniste 

Kuroda Seiki, Sous l'ombre des arbres, 1898

Kuroda Seiki, Sous l’ombre des arbres, 1898

Il faut attendre les années 1880 pour que les impressionnistes commencent à obtenir une véritable reconnaissance de la presse, du public et des institutions en France. Mais leur influence n’a pas attendu cette date pour se faire sentir dans les milieux artistiques précurseurs à travers le monde. Dès 1870, le peintre belge Alfred Stevens fait découvrir le travail de Degas et Manet à ses pairs. Par la suite, l’impressionnisme belge se développe peu à peu, représenté par des artistes comme Guillaume Vogels ou Anna Boch. Rapidement, il évolue et se mâtine de réalisme et d’expressionnisme, ce qui contribue à faire de Bruxelles la capitale des avant-gardes et un berceau du néo-impressionnisme.  

Le mouvement essaime aussi ailleurs en Europe. Aux Pays-Bas, des artistes comme George Hendrik Breitner contribuent au développement de “l’impressionnisme d’Amsterdam”. Le peintre roumain Nicolae Grigorescu importe dès les années 1870 les principes de l’impressionnisme français dans son pays, tandis que le Cercle des impressionnistes et naturalistes hongrois (ou MIÉNK) est fondé en 1907. L’influence impressionniste voyage jusqu’en Asie, en particulier au Japon, qui s’ouvre à cette époque au monde. Tandis qu’une fièvre japoniste s’empare des artistes français de la fin du XIXe siècle, certains de leurs homologues nippons viennent se former à la peinture occidentale moderne à Paris. C’est le cas, par exemple, de Kuroda Seiki qui, après dix années à peindre la campagne française, familiarise ses compatriotes avec le style de l’école de Barbizon. 

Aux États-Unis, de succès en désuétude 

Mary Cassatt, La Petite fille dans un fauteuil bleu, 1878

Mary Cassatt, La Petite fille dans un fauteuil bleu, 1878

En 1886, la peintre Mary Cassatt et le marchand Paul Durand-Ruel font voyager 300 tableaux impressionnistes vers l’Amérique du Nord. Plusieurs grandes expositions sont organisées au cours de cette décennie à New York et Boston. Elles connaissent un succès immédiat, et un véritable impressionnisme américain émerge dès les années 1890. Ses représentants se rassemblent dans de petites “colonies d’artistes” à travers le pays, peignant les paysages ruraux environnants ; ils observent également avec une certaine distance la modernité urbaine, représentée notamment par le groupe des Ten American Painters, fondé en 1897. Mais dès les années 1910, l’impressionniste tombe largement en désuétude aux États-Unis, éclipsé par de nouveaux courants novateurs. Son histoire outre-Atlantique ne s’arrête pour autant pas là. 

La renaissance muséale de l’impressionnisme 

La postérité du mouvement connaît une véritable renaissance dans les années 1950 sous l’impulsion des grands musées américains. Aujourd’hui encore, le musée Getty de Los Angeles, le Metropolitan Museum of Art de New York, l’Art Institute of Chicago ou le musée des Beaux-Arts de Boston accueillent des collections impressionnistes parmi les plus riches au monde.  

La France n’est bien entendu pas en reste en la matière, malgré les réticences initiales des institutions. Inauguré en 1986, le musée d’Orsay concentre à lui seul plus d’un millier de toiles impressionnistes et postimpressionnistes. Il s’apprête d’ailleurs à célébrer les 150 ans du mouvement en grande pompe, avec une exposition-événement, mais aussi à travers le prêt de 178 œuvres à 34 musées partenaires à travers la France.  

Aujourd’hui, les amateurs d’impressionnisme se pressent également à la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague, au musée de l’Art occidental de Tokyo ou encore à la Courtauld Gallery de Londres. Les expositions se succèdent à travers le monde, rencontrant un succès sans cesse renouvelé. 150 ans après son acte fondateur, l’impressionnisme semble avoir durablement trouvé son public, indéniablement international ! 

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